Trois ans de partenariat pour protéger les recycleurs de D3E à Manille

Des millions d’objets électroniques, électroménagers et électriques usagés sont exportés vers les Philippines. Ces matériels sont réparés, utilisés quelques mois puis deviennent des déchets D3E, recyclés par une économie informelle. De 2012 à 2017, Médecins du Monde et la fondation Veolia ont associé leurs expertises pour prévenir les risques sanitaires et environnementaux encourus par les démanteleurs. Retour sur ce programme fruit d’un partenariat innovant entre une grande ONG et une fondation d'entreprise.

Humanitaire et Développement

Lieu
Manille, Philippines

Marraine
Françoise Weber

Dotations
50 000 € au Comité du 09/10/2012
150 000 € au Comité du 26/05/2015

Porteur du projet

Médecins du Monde

 

« Ce projet s'attaque à un sujet important et souvent laissé de côté : celui du recyclage des déchets solides toxiques dans les pays en développement. » Françoise Weber

Jusqu’en 2017, les Philippines n’avaient pas envisagé la création d’une filière réglementée pour recycler les appareils d’air conditionné, les réfrigérateurs, les téléviseurs à tube cathodique, les téléphones ou les ventilateurs... Des démanteleurs de tous âges, dont des enfants, extraient de ces matériels les matières valorisables, principalement les métaux (cuivre, or argent, aluminium, plomb...). Ils les revendent à des grossistes de quartier (junk shops), qui les revendent eux-mêmes à des grossistes de région pour les exporter vers des pays développés où ils servent de matière première. Des habitants pauvres de certains barangays[1] démantèlent les D3E pour créer un revenu complémentaire, ou une activité principale, qui fait vivre leurs familles.
 
Première pierre du partenariat entre Médecins du Monde et la Fondation
En 2012, Médecins du Monde a demandé l’aide de la fondation Veolia pour une mission exploratoire sur le recyclage des déchets à Manille. L’attention s’est focalisée sur les D3E, Veolia apportant l’expertise de sa filiale Triade Electronique, spécialisée dans leur retraitement. Au cours de cette première mission, les deux partenaires ont pris connaissance du contexte de travail des démanteleurs et identifié les risques dus à leurs pratiques. Par exemple, ils cassent les tubes cathodiques pour récupérer le plomb à l’intérieur, d’où des éclats de verre coupants, le dégagement de gaz à effet de serre, de CFC[2] et la pénétration de poudre de plomb dans leur corps. En cassant d’autres matériels, des bouts de métaux se dispersent dans la rue. Les démanteleurs sont donc soumis à deux types de risques :

  • Des risques mécaniques par coupures et projections de métaux ;
  • Des risques d’intoxication liée aux métaux. L’intoxication est directe ou indirecte quand les métaux (plomb, cadmium, mercure…) se répandent dans l’environnement, dans l’eau que les démanteleurs consomment ainsi que leurs familles.

Cette mission exploratoire fut la première pierre du partenariat entre Médecins du Monde et la fondation Veolia pour réduire les conséquences sanitaires et environnementales du démantèlement informel des D3E à Manille. En 2012, la collaboration entre une ONG et une fondation d’entreprise n’allait pas soi… Les deux partenaires sont très complémentaires : Médecins du Monde apporte sa connaissance concrète du terrain, de la structuration de communautés et son aura auprès des instances sanitaires locales ; Veolia apporte sa connaissance des pratiques à risque dans le démantèlement des D3E, des équipements individuels de protection, des messages d’information et de formation. Le projet s’étend sur trois ans mais il a été mis en veille entre 2013 à 2015 pour raisons d’insécurité politique et climatique (nombreux typhons). Il a repris en 2015 et s’est terminé en janvier 2017.
 
Structuration, formation, sécurisation
La première phase du projet a concerné l’identification des risques et celle des lieux d’action : quatre barangays où se concentre une importante population de démanteleurs. Médecins du Monde a impulsé la création de quatre associations représentatives de ces travailleurs informels. Cette organisation s’insérait dans le contexte culturel favorable d’une forte tradition d’entraide aux Philippines.

Le projet en chiffres

  • 4 sites d’intervention
  • 4 organisations de démanteleurs formalisées
  • 4 zones de démantèlement sécurisées
  • 766 démanteleurs identifiés, dont 57 % sont membres d’une organisation
  • 3 584 paires de gants distribuées
  • 2 200 personnes touchées par le projet (démanteleurs et leurs familles)
  • 5 modules d’information, éducation et communication créés et 508 sessions réalisées
  • 50 agents de santé formés

La diffusion des messages de prévention auprès des travailleurs sur les risques encourus est grandement facilitée par cette nouvelle organisation. Les volontaires de la fondation Veolia ont formalisé les messages en cinq modules, transmis ensuite par les représentants de Médecins du Monde aux communautés de démanteleurs et aux instances sanitaires locales. Il était important d’accroître la prise de conscience du corps médical philippin sur les intoxications liées au démantèlement. L’interaction entre les communautés et les centres de santé des barangays s’est ainsi fluidifiée.
 
Information, éducation et formation sont les préalables aux changements des pratiques quotidiennes. La fondation Veolia a financé des équipements de protection individuels pour diminuer les risques : gants, lunettes et manchettes portés pendant le démantèlement. Des tournevis ont également été distribués pour dévisser les tubes cathodiques plutôt que de les briser. Un facteur essentiel dans le changement des pratiques a été la création de quatre zones de démantèlement sécurisées (Safe Dismantling Areas : SDA), alors qu’il s’effectuait auparavant n’importe où dans les rues. Aujourd’hui, les tubes cathodiques de télévision sont rangés dans des armoires dédiées. Ils ne gisent plus explosés sur le sol.

En 2017, la situation des démanteleurs est en passe d’évoluer. Une loi a été votée aux Philippines en 2016 contre l’encombrement des rues. Les démanteleurs ont subi des descentes de police pour les dégager. Les SDA sont abritées sous des tentes qu’ils doivent replier tous les jours. Ensuite, une loi en préparation rend illégal le démantèlement informel : cette activité sera autorisée uniquement dans les junk shops. Enfin, la chute des cours de matières premières a rendu l’activité moins rentable ; certains démanteleurs se sont tournés vers d’autres sources de revenus. Médecins du Monde et la fondation Veolia ne projettent pas, bien évidemment, de soutenir une activité qui va devenir illégale.

Améliorer la santé et l’environnement des populations urbaines
Prendre conscience des risques pour la santé et l’environnement, faire évoluer les comportements : ces objectifs du partenariat ont été atteints. En trois ans, la mission a impulsé de vrais changements : la structuration des démanteleurs en communautés ; l’information sur les risques encourus et leur prise en compte dans les pratiques quotidiennes ; la constitution de zones sécurisées de démantèlement. Par ailleurs, ce partenariat marque le début d’une collaboration innovante et fructueuse entre une grande ONG et un groupe privé. Très actif dans l’urgence humanitaire, Veolia a prouvé sa capacité à transférer ses compétences dans une mission d’aide au développement sur le long terme.

Médecins du Monde et la fondation Veolia travaillent à définir un nouveau programme en lien avec l’environnement et la santé des populations urbaines : l’accès à l’eau, l’assainissement, la collecte des déchets, la protection incendie ou l’accès aux soins. Dans Manille sont imbriquées des poches de pauvreté et de richesse, comme dans toutes les mégalopoles des pays en développement. Les infrastructures existent mais les populations les plus pauvres n’y ont pas accès. La même méthodologie sera appliquée, à savoir la structuration en communautés qui démultiplie l’impact des actions menées. 
 

 

[1] Autorités administratives, équivalentes à des arrondissements.
[2] Chlorofluorocarbure.

Créée en 1980 par un groupe de médecins militants, Médecins du Monde a vu le jour à l'occasion du sauvetage de réfugiés vietnamiens en mer de Chine. L'association s’est ensuite développée en intervenant lors des grandes crises des années 80 en Afghanistan, au Salvador, en Arménie... Mais aussi en France, où elle ouvre à Paris un centre de soins et un premier centre de dépistage du VIH, volontaire, anonyme et gratuit. Dans les années 90, elle intervient lors des conflits en ex-Yougoslavie, en Somalie, au Rwanda, au Burundi, au Zaïre/Congo, en Iran, au Kosovo, en Turquie, au Timor, en Tchétchénie... A la fin des années 90, plus de 70 missions sont mises en œuvre à travers le monde, dans plus de 50 pays. Dans les années 2000, l'action humanitaire devient de plus en plus difficile sur le terrain mais Médecins du Monde maintient sa présence auprès des plus vulnérables, partout dans le monde.
 
En 2011, Médecins du Monde a mené 65 programmes dans 44 pays, touchant 1,5 million de bénéficiaires à l'international.

La fondation et son partenaire Médecins du Monde ont été récompensés par le ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie pour leur projet de “Prévention et réduction des risques environnementaux auprès des populations vulnérables aux Philippines”….
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