Comment vous êtes-vous passionné pour les abeilles, quelle est leur place dans votre parcours d'écrivain ?
J'étais très ami avec le professeur Rémy Chauvin, grand spécialiste des abeilles, qui m'a beaucoup appris : leur langage, leurs façons de communiquer, la formation de leur société... On porte sur les abeilles un regard différent dès qu'on sait de quoi elles sont capables.
Le romancier que je suis découvre dans la réalité de la vie, dans l'évolution des animaux, des histoires qui défient l'imaginaire. Une abeille se souvient d'un trajet, repère la position du soleil pour se guider, transmet l'information d'un territoire à butiner à ses consœurs... Elle fait donc appel à sons sens de l'observation, sa mémoire, son horloge interne, la solidarité de groupe... C'est une histoire extraordinaire à partager, que l'on connaît d'ailleurs depuis peu de temps : quand l'éthologiste Karl von Frisch a publié les premiers travaux sur les abeilles dans les années 1930, personne ne le croyait. La preuve de la réalité de leur langage est venue du robot construit en 1992, un récit que je développe dans le livre. Cette abeille en cuivre reproduisait la danse des exploratrices qui informent leurs semblables de la direction et de la distance d'un territoire à butiner. Et les abeilles ont suivi le robot, qui a réussi à parler leur langage. Plus l'homme découvre les abeilles, plus il les trouve extraordinaires, plus il cause dans le même temps leur disparition...
Votre livre nous apprend à les connaître, à les comprendre, les aimer, donc à les respecter. Que faire pour sensibiliser au fait qu'elles sont indispensables ?
Les protéger est un message simple à faire passer, notamment auprès des jeunes. Quand on s'intéresse aux abeilles, on réalise les dangers qu'elles courent, notre responsabilité dans leur disparition et pour trouver les moyens d'y remédier. En 50 ans, elles ont connu plus d'agressions qu'en 50 millions d'années. Les effets de leur disparition totale, due aux pesticides, dans certaines régions de Chine sont saisissants : des hommes grimpent dans les arbres pour polliniser les fleurs avec des cotons-tiges. Leur rendement est dérisoire comparé à celui des abeilles.
La combinaison de sept facteurs cause l'effondrement des colonies : les pesticides, l'agriculture intensive, les OGM, les ondes électromagnétiques, le frelon asiatique, les parasites importés (varroa ou pou de Java), le changement climatique. Il suffit d'éliminer 2 ou 3 de ces causes pour que les abeilles s'adaptent. Leur processus d'adaptation est lent mais très efficace. Citons une lueur d'espoir : les abeilles se portent désormais mieux en ville qu'à la campagne. En milieu urbain, elles ne souffrent ni des pesticides qui attaquent leur système nerveux, ni de la monoculture qui appauvrit la biodiversité des fleurs, ni des gènes mutants du colza OGM qui colonisent leurs intestins... Les ruches installées sur les toits de la mairie de Saint-Denis, dans la banlieue parisienne, produisent un miel d'excellent qualité. Saint-Denis abrite le plus grand rucher urbain d'Europe et les abeilles y sont 5 fois plus productives que dans les campagnes car elles profitent de la biodiversité des jardins avoisinants.
Qu'a apporté au livre le prix donné par la fondation Veolia ?
Le livre a très bien marché, le prix a activé sa distribution dans les bibliothèques des mairies, il a permis d'accroître sa diffusion et la sensibilisation à ce sujet. Il doit aussi sa réussite aux très belles photos de Jean-Claude Teyssier, qui m'ont incité à collaborer à ce projet.
On a désormais suffisamment de preuves de la nocivité des systèmes de production agricoles mais c'est un combat sans cesse à recommencer contre les lobbies industriels. Il ne faut pas se démobiliser. Il faut aussi faire confiance à la capacité d'innovation des abeilles, si elles ne sont pas démesurément perturbées.
Didier Van Cauwelaert
Romancier, dramaturge et scénariste