« CultiCime est un accélérateur d’insertion »

Interview de Yann Fradin, cofondateur et directeur général d'Espaces.

Espaces est une structure d’insertion dans l’écologie urbaine. Il y a 22 ans, comment vous est venue l’idée de créer cette association qui combine et relève deux défis importants : insertion et écologie ?
J’ai cofondé Espaces à la suite de la fermeture des usines Renault à Boulogne-Billancourt avec un double challenge. D’abord, créer des emplois sur le territoire des Hauts-de-Seine puisque les grandes industries fermaient ; on peut dire qu’elles étaient les grandes structures d’insertion de l’époque car elles proposaient des parcours variés avec des possibilités d’évolution. Ensuite, agir dans le secteur de l’écologie urbaine : les rives de Seine disposaient de beaux chemins de halage à l'abandon où vivaient des personnes en extrême précarité. L’objectif était d’ouvrir ces sites au public en intégrant les personnes présentes.

L’association Espaces crée de l’emploi pour des personnes qui en sont éloignées dans les nouveaux métiers de l’écologie urbaine. Progressivement, nous avons multiplié les chantiers d’insertion dans les Hauts-de-Seine et dans Paris, puis dans les Yvelines. L’association gère aujourd’hui 14 chantiers qui rassemblent 130 salariés en insertion et 50 permanents.


En 2013, le besoin s’est fait sentier de prolonger l’action d’Espaces par une filiale, NaturEspaces. Cette entreprise d’insertion propose des prestations d’entretien, de création et de gestion d’espaces naturels urbains sur l’ouest de l’Ile-de-France. NaturEspaces rassemble 10 salariés, trois permanents et sept salariés en insertion. Elle a la souplesse d’une entreprise de services et propose des parcours d’insertion à des personnes expérimentées mais pas encore tout à fait prêtes pour un emploi non aidé.

Pouvez-vous préciser quels sont ces « nouveaux métiers de l’écologie urbaine » que propose Espaces ?
En fait, nos métiers ont une forte dimension historique. Ils avaient pratiquement disparu et sont aujourd’hui réhabilités. Le métier d’éco-cantonnier qui entretient les berges existe depuis des siècles mais nous le recréons avec des méthodes, des outils et des fonctions qui répondent aux besoins d’aujourd’hui. Il y avait beaucoup de maraîchage en ville avant l’invention du moteur à explosion, facilitateur du transport de denrées lointaines. Le mot maraîcher vient de « marais » qui désignait une parcelle cultivée... sur des marais à Paris. Le quartier du Marais en est un témoin. On retourne aux sources ! Ces maraîchers exploitaient des micro-parcelles dont nous retrouvons aujourd’hui les contraintes en cultivant sur des toits. Nous adaptons des pratiques anciennes au temps présent.

Quelle est, pour vous, la spécificité du projet CultiCime ?
CultiCime est notre premier projet d’agriculture urbaine de production. L’enjeu est de créer une activité rentable de vente de fruits et légumes. Le modèle économique de l’agriculture urbaine évolue, les plus anciennes expériences modernes ayant 10 ans à peine. Par exemple, les terrains sont mis gratuitement à disposition des lauréats du concours « Parisculteurs », alors qu’auparavant la Ville de Paris envisageait de les louer, ce qui représentait un coût insurmontable pour les cultivateurs. De même pour les promoteurs immobiliers : ils intègrent désormais l’installation de terres arables dans le coût de construction. La terre permettant la rétention d’eau, l’installation est subventionnée en partie par les Agences de l’eau. Le propriétaire du Fashion Center a mis la terrasse de CultiCime à disposition de Topager mais il a fallu débroussailler quatre ans d’herbes diverses et variées qui s'étaient installées avec bonheur !

Comment les salariés sur CultiCime s’adaptent-ils à cette nouvelle expérience qu’est pour eux l’agriculture urbaine ?
Nous avons démarré en août 2016 avec deux salariés en insertion à temps partiel. CInq salariés d’Espaces ont déjà travaillé sur le site au cours de ces six mois. Ils viennent d’autres chantiers d'insertion animés par Espaces une à deux fois par semaine pour cultiver les parcelles. Ils sont encadrés par Topager qui les forme à l’agriculture vivrière et par Casilde Gratacos, la responsable opérationnelle qui bénéficie d’un fonds de confiance de France Active. Ces six mois d’expérimentation nous montrent que travailler sur CultiCime est un accélérateur d’insertion. Les salariés sont heureux de s’investir dans un secteur émergent, avec une nouvelle équipe ; ils démontrent un fort désir d’apprendre de nouvelles formes d’écologie urbaine. Sur les cinq salariés, trois sont déjà sortis de leur parcours d’insertion vers d’autres horizons professionnels.
 

L’un des objectifs de CultiCime est bien d’officialiser une formation de maraîcher urbain ?
Espaces a mis en place un dispositif de certification de compétences professionnelles que nous sommes en train d’étendre au métier de maraîcher urbain. Cette certification s’appuie sur les référentiels métiers du ministère du Travail, répertoriés par le code ROME[1].

Je pense que le métier de maraîcher urbain va se développer très fortement sous diverses formes. Les entreprises d’espaces verts se mettent à la production vivrière. Dans 15 ans, les espaces verts dans les villes seront très différents. On ne plantera plus de bambous mais des noisetiers, plus de thuyas mais des haies de framboisiers… On achète actuellement très cher une barquette de framboises venue souvent de loin alors qu’on pourrait la faire pousser en bas de chez soi sans produit phytosanitaire nocif pour la santé, puisqu’ils sont interdits en ville depuis le 1er janvier 2017… Je mise sur un retour à une croissance intelligente et à la relocalisation de la vie. La ville de Lisbonne a pris des décisions radicales dans ce sens : sur 32 hectares d'espaces verts municipaux, la moitié a été transformée depuis 2008 - en moins de 10 ans - en espaces d'agriculture urbaine. Cette évolution est créatrice d’activité et d'emplois : ces cultures demandent beaucoup de main-d’œuvre.

Vous parlez de 1 800 emplois de maraîchers urbains créés sur le périmètre de Parisculteurs ?
C’est une première estimation en fonction de nos expériences. Certains de ces emplois seront des temps pleins, d’autres des temps partiels inclus dans des métiers qui vont se transformer : par exemple un gardien d’immeuble auquel la copropriété demandera de prendre soin des framboisiers ou des tomates du jardin dans les parties communes… Les personnels qui entretiennent des jardins ou des espaces verts en ville pourront devenir demain des maraîchers urbains.
 

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PLUS D'INFOS :

  • www.association-espaces.org
  • www.naturespaces.net
  • www.topager.com
 

[1]ROME : Répertoire opérationnel des métiers et des emplois.